L’Esport désigne la pratique du jeu vidéo sur internet, seul ou en équipe, par le biais d’un ordinateur ou d’une console. Industrie jeune et dynamique, elle attire pourtant de nombreux investisseurs, et son marché économique est florissant. Si Paris s’est timidement positionné comme métropole de la pratique du jeu vidéo, de véritables potentiels sont encore à saisir, qui peuvent se révéler de solides nouveaux atouts dans son attractivité internationale.
Une organisation différente du schéma sportif traditionnel
Quatre acteurs se partagent le marché du Esport dans le monde. Tout d’abord les joueurs amateurs et professionnels qui sont en France un peu plus d’un million, et les promoteurs (organisateurs, équipementiers et médias) qui sont entre 70 à 80 dans le monde (tels que ESL, Major League Gaming, ELeague). Ensuite viennent les créateurs de jeux vidéo, environ 130 au niveau mondial (tels que Valve, Riot Games, Microsoft, EA Sports). Puis les entreprises sponsors (telles que HP, Coca-Cola, Red Bull, Disney), qui sponsorisent les trois acteurs mentionnés pour faire tourner le modèle économique. Les joueurs professionnels rejoignent généralement un club Esport, afin de construire des équipes de haut niveau. A l’image d’un club sportif traditionnel, on retrouve alors partie sportive (direction et management) et partie administrative.
Les éditeurs de jeux vidéo ont trois façons d’organiser une scène compétitive : organiser eux-mêmes (comme Riot Games, League of Legends), laisser un tiers organiser (via les promoteurs), ou choisir un arbitrage entre les deux (comme Ubisoft avec Rainbow 6). La pratique se structure à plusieurs échelles en France : jeux confidentiels, amateurs, avec spectateurs et compétitions professionnelles. La médiatisation passe par différents canaux, dont principalement YouTube et Twitch.
Malgré une pratique indépendante de la zone géographique, on observe 70 à 80% des joueurs dans la région Île-de-France. Il existe enfin des implantations régionales physiques : Eaubonne, Poitiers, Thiais, ou le Stade de France (entrainements et compétitions). La métropole possède néanmoins une abondante quantité de joueurs, disposés à voir leur territoire accroître la pratique et les compétitions d’E-sport.
Un modèle économique insolite
L’industrie du jeux vidéo représente plus de 120 milliards de dollars dans le monde en 2019, et la France constitue le 7ème pays le plus dynamique, avec 3,37 milliards de dollars. Le marché du Esport est estimé à 1,5 milliards de dollars pour 2020 au niveau mondial (un peu plus de 1% de l’industrie totale du jeux vidéo), et avec une croissance annuelle unique de plus de 30%. L’industrie se caractérise par l’organisation de deux types d’événements : des compétitions mondiales et des salons. Depuis 2011, l’industrie s’est placée à une échelle mondiale, avec des prize pools (récompenses) qui atteignent 25 millions de dollars. La majorité de ces revenus proviennent de la publicité et du sponsoring, à l’inverse du sport traditionnel, avec une billetterie dont la part est très marginale (3%). En dehors de YouTube ou Twitch, libres d’accès, les autres droits de retransmission TV sont assez faibles. Les dépenses sont concentrées sur les coûts d’organisations des tournois et les cash prize, en forte augmentation (allant jusqu’à 71 millions de dollars).
C’est un modèle marqué par une forte inégalité entre les acteurs : les principaux bénéficiaires des revenus sont les éditeurs qui déterminent la scène compétitive et les vainqueurs des tournois. A l’inverse, les clubs et les promoteurs du tournois ne gagnent pas ou peu d’argent. Lorsqu’un éditeur organise une compétition, il a le choix de partager les revenus avec les différents acteurs ou de les distribuer uniquement aux vainqueurs (dans ce cas, 95% des prize pools reviennent aux joueurs, et 5% aux clubs). Le partage des gains est souvent inéquitable, notamment lorsque suivent des charges salariales pour les clubs (joueurs, staffs). Un tournoi n’est pas un événement rentable, avec des tickets d’entrée autour entre 10 et 40€, et un nombre de visiteurs pour les plus gros tournois entre 10 et 30 000 personnes, qui ne rentabilisent pas les coûts (constitués par l’éditeur, et les infrastructures). Mais il soutient un objectif de visibilité.
L’immense majorité du revenu des éditeurs provient des revenus liés aux utilisateurs du jeux. Cette situation inéquitable requiert de la part des acteurs (club, organisateurs, villes), de se réunir et de mieux structurer leurs intérêts afin d’être en capacité de négocier lors de l’appel d’offres, et faire face aux éditeurs. Le Grand Paris peut donc saisir cette opportunité afin d’être un territoire proposant une cohésion avec les clubs et les organisateurs dans l’organisation de ces tournois. De ce fait, elle serait un territoire attractif pour ces évènements, et cela renforcerait à l’international l’image d’une ville dynamique et connectée aux nouvelles pratiques.
Des opportunités à saisir
A la différence du sport traditionnel où la notion de localisation importe, l’ESport repose sur des compétitions en ligne, des déplacements lors de championnats internationaux, voire des équipes regroupant des joueurs de nationalités différentes. La pratique est dématérialisée, et le visionnage se fait majoritairement à distance. Pour les grands tournois, les organisateurs procèdent à des appels d’offres, et certaines villes sont prêtes à payer pour être hôtes. La première métropole à s’emparer du phénomène est celle de Séoul en 2005 avec l’inauguration du Yongsan e-Sports Stadium, première enceinte spécialisée du monde. En 2014, la finale du championnat du monde de League of Legends rempli un stade initialement construit pour la Coupe du monde de football. En Europe : Berlin et Cologne en Allemagne, Katowice en Pologne et Paris s’affichent comme pôles dynamiques de la pratique. Katowice possède le stade européen le plus impressionnant, le Spodek Arena, qui peut accueillir plus de 12 000 spectateurs, Berlin est hôte depuis 2018 de la « Champions League » de League of Legends, avec une affluence très importante de visiteurs et de joueurs, à tel point que la ville compte des « gaming house », (hébergement pour les joueurs). A Paris, plusieurs entreprises clés du secteur ont élu domicile (telle que Webedia), ainsi que quelques rendez-vous internationaux (Paris Games Week par exemple). Les retombées touristiques sont triples : afflux du tourisme, image moderne pour la ville, et développement de la filière numérique locale (exemple avec Katowice, qui dépense 250 000€ par an pour organiser le tournoi).
L’obstacle majeur pour les villes organisatrices est le coût des événements. Un tournoi coûte très chère, avec l’hébergement des joueurs intra-muros pour plaire, face à des villes qui sont prêtes à payer pour organiser (exemple en Chine). Dans le cas de la métropole, ce n’est pas dans sa politique de participer aux coûts de la compétition. Organiser une compétition dans un lieu emblématique ne détermine pas sa rentabilité, bien au contraire : le ticketing est bien moins important que les droits de diffusion (accords exclusifs ou non avec de gros diffuseurs). Les organisateurs préfèrent donc assurer la rentabilité du tournoi, plutôt que de prendre en charge le coût lié à une ville telle que Paris.
Mais, la ville peut se démarquer dans son environnement Esport : différemment du sport traditionnel, en repensant l’organisation des clubs à l’échelle locale, ainsi que le fonctionnement des appels d’offre, pour équilibrer les forces entre les différents acteurs. L’idée serait de passer d’un mode atomisé à un cluster dynamique pour faire du Grand Paris le lieu privilégié de l’installation des joueurs et des clubs. Ces démarches impacteraient le rayonnement de Paris sur la scène du E-sport international, et compte tenu de l’évolution de la discipline, devenir un atout d’attractivité notable.