Associée EY depuis 2020, son engagement sur ces sujets et la multitude des points de vue et secteurs qu’elle rencontre en tant que consultante nous livre une perspective riche des bonnes pratiques dont s’inspirer et des freins à surmonter.
Avoir de l’impact : c’est ce qui a guidé la carrière de Dorothée Belle. C’est dans le conseil qu’elle a trouvé l’espace pour cultiver ses talents. Après une formation littéraire, elle a suivi un magistère d’urbanisme à la Sorbonne, tout en obtenant une licence et une maîtrise de géographie. Elle a ensuite complété son parcours avec la Chaire d’Économie urbaine de l’ESSEC. Entrée chez EY en 2007 en tant que consultante, elle a travaillé dans divers secteurs avant de devenir manager, directrice, puis associée en 2020.
Voici quelques extraits de la conversation.
Quel a été votre parcours chez EY ?
Dorothée Belle : J’y suis entrée en tant que stagiaire en 2007. EY était alors l’un des rares cabinets de conseil à Paris à avoir beaucoup investi sur un secteur qui me passionnait : le secteur public. Depuis lors, j’ai vécu l’équivalent de dix carrières dans cette entreprise où les évolutions et les opportunités sont perpétuelles. Je suis devenue associée en 2020, en pleine pandémie de Covid-19.
Je distingue trois étapes différentes dans mon parcours de consultante. D’abord, une période d’apprentissage pendant laquelle j’ai travaillé sur une grande diversité de missions à la fois dans le public et le privé, animée par ma soif de relever des défis. Ensuite, une phase de consolidation pendant laquelle j’ai rapidement pris des fonctions managériales en encadrant d’importantes équipes de consultants. Enfin, une phase de développement des activités du cabinet. J’ai d’une certaine manière développé ma propre entreprise au sein de la grande entreprise, avec une vision claire de là où il fallait aller pour aider mes clients.
Je suis aujourd’hui au sein du cabinet en charge du développement de nos activités de conseil et des questions de diversité, équité et inclusion pour les activités de conseil d’EY en France. À ce titre, j’impulse la stratégie d’EY Consulting en France et en Europe sur ces thèmes.
Quels sont les enjeux de parité hommes-femmes chez EY ?
DB : Il n’est pas nouveau que le monde du conseil, comme d’autres secteurs, peine à présenter un équilibre en termes de genre, notamment sur les postes de direction générale. Plusieurs raisons ou croyances l’expliquent : des horaires de travail exigeants, des déplacements, un mythe ancien selon lequel il est impossible d’avoir une vie personnelle. À mes débuts, il existait une idée reçue selon laquelle la progression professionnelle des femmes ralentissait de deux ans par enfant. Heureusement, les choses ont beaucoup évolué, et je peux dire sans mentir dire qu’avoir une famille et des enfants n’a jamais été un frein à ma carrière chez EY.
Dans le conseil, les enjeux de parité se manifestent dès le recrutement et tout au long de la progression dans l’entreprise. Au niveau du recrutement, nous recevons par exemple moins de candidatures de jeunes femmes que de jeunes hommes. Les écoles d’où proviennent nos recrues, notamment les écoles d’ingénieurs et dans une moindre mesure les écoles de commerce, ne sont pas paritaires en sortie. En début de carrière, la répartition est d’environ 45 %
de femmes pour 55 % d’hommes. Cependant, un écart significatif apparaît à partir du grade de manager (après environ six ans d’expérience), et ce décrochage se creuse jusqu’au grade d’associé.
Aujourd’hui, en consulting, on compte 10 femmes associées, sur 63. Lors des réunions d’associés, nous n’existons que marginalement dans les échanges du simple fait de notre nombre, et avoir de l’impact en interne est difficile. Cela vaut pour toutes les minorités : pour se faire entendre, il faut parler fort et occuper beaucoup d’espace, ce qui demande de l’entraînement.
Selon vous, à quoi est dû ce décrochage progressif des femmes dans leur carrière ?
DB : Le vrai problème est le manque de projection des femmes dans les fonctions de directions générales. L’absence de « role models » donne l’impression que devenir associée est impossible. Dans mes jeunes années de consultante, neuf années se sont écoulées sans qu’une femme ne soit promue associée. Dans ce contexte, de nombreuses femmes managers jettent l’éponge. Les retenir est alors difficile car au moment où nous nous rendons compte du décrochage, elles ont déjà démissionné et souvent trouvé un autre poste.
Cette tendance a été accentuée par un phénomène récent : l’effet de départ post-Covid, qu’on a appelé la « grande démission », concernait notamment les femmes, qui ont choisi de chercher de nouvelles opportunités ailleurs pour reprendre leur souffle.
Pourquoi une entreprise comme EY doit s’intéresser à la parité ?
DB : Selon moi, une entreprise qui ignore ce sujet ne pourra pas rester attractive dans les quinze prochaines années. En tant que cabinet de conseil, nous vendons des talents, et négliger cet enjeu serait une erreur de stratégie majeure. Pour qu’une entreprise ait un impact durable, soit résiliente et continue à attirer des talents, promouvoir la parité hommes-femmes et la diversité doit être une priorité. Mon objectif est notamment d’augmenter le nombre de
femmes associées chez EY. De manière générale, les Comex des entreprises doivent être paritaires, car c’est à ce niveau que les décisions influençant le middle management et les équipes sont prises.
Chez EY, nous constatons que les équipes dirigées par des associées sont généralement plus paritaires et présentent une plus grande diversité culturelle, ethnique, d’âge, et incluent davantage de salariés en situation de handicap. Cela améliore la qualité de vie au travail et crée un environnement plus inclusif, ce qui optimise le fonctionnement de l’entreprise, et donc in fine sa performance. Les équipes diverses et paritaires sont extrêmement performantes : peu
de dépassements d’honoraires, activité commerciale florissante, forte rétention. Des études d’Oxford montrent également un lien entre la diversité sous toutes ses formes et la performance des entreprises. Cet argument est convaincant.
La compétitivité est également en jeu. Nous avons déjà perdu des contrats en présentant des équipes peu diverses. Pour remporter de nouveaux marchés, l’égalité hommes-femmes et la diversité au sein des équipes de consultants sont des critères gagnants et différenciants auprès de nos clients qui cherchent des équipes qui reflètent la société dans laquelle nous vivons.
Malgré ces arguments – attractivité, performance, compétitivité -, le sujet de la parité reste essentiellement porté par des femmes. Peu d’hommes prennent la parole et, sans femmes dirigeantes, les décisions pour la parité et la diversité ne sont pas prises.
Certaines tendances sont toutefois encourageantes. Nous venons de nommer une femme à la tête de nos activités d’audit en France, cela ouvre des perspectives. La nouvelle génération de dirigeants hommes, ceux de 40-50 ans, est plus ouverte et veille à ce que des femmes soient considérées pour chaque promotion. Ils acceptent également d’être remis en question. Cette nouvelle génération contribuera à rééquilibrer la situation.
Que mettez-vous en place chez EY pour corriger ces déséquilibres ?
DB : Nous travaillons globalement sur quatre axes.
Le premier axe est le recrutement. Nous avons lancé chez EY les programmes de recrutement dédiés aux femmes. Se présenter aux processus de recrutement dans les grandes entreprises peut en effet être un premier élément bloquant pour les candidates. Un événement dédié crée un climat de confiance idéal pour exprimer leur potentiel. Les associés y participent, offrant un aperçu de la vie dans le conseil. J’ai discuté avec ces jeunes femmes et elles sont bien plus exigeantes que je ne l’étais à mes débuts. Elles veulent tout réussir, donner du sens à leur travail et que tout s’imbrique. Cela pose la question du taux de progression : EY a calculé que, si nous continuons au même rythme, il faudrait attendre 150 à 200 ans pour atteindre la parité
dans les entreprises. Les nouvelles générations n’attendront pas autant !
Un deuxième axe est la parentalité. Je nourris l’ambition que les entreprises allongent la durée du congé paternité pour rendre les actions de parentalité plus équitables en entreprises, et parce que ce sujet concerne autant les hommes que les femmes. Les mentalités évoluent et cela contribue au rééquilibrage. Les jeunes papas assument beaucoup plus leurs responsabilités parentales qu’auparavant.
Troisièmement, je soutiens nos réseaux internes. Avec 6 000 employés en France, EY voit fleurir de nombreuses initiatives collectives. Le réseau Elles & You travaille sur l’inclusion de tous, en interne comme en externe. Le réseau Unity, dédié aux personnes et alliés LGBT+, promeut l’inclusion des personnes LGBT+ dans l’entreprise. Un réseau récemment créé vise à mieux intégrer les neurodivergences en adaptant les conditions de travail et les missions. Que chacun puisse, avec ses forces et ses faiblesses, se développer et s’épanouir dans notre grande entreprise est le principe même de l’équité.
Le quatrième et dernier axe est la rétention et promotion des talents. Deux programmes que nous avons créés y participent : Prima Donna et Career Watch. Prima Donna est un programme de coaching pour les femmes consultantes seniors expérimentées. Des coachs les aident à se projeter, à gagner en assertivité, à oser s’affirmer dans leur carrière. Career Watch, destiné aux Senior Managers considérés comme hauts potentiels, forme des binômes de
mentoring entre ces femmes et nos associés. L’objectif est de les encourager à prendre des risques, s’exposer, et à décrypter les dernières étapes pour passer associée.
Petit à petit, grâce à un travail collectif et acharné, nous créons les conditions nécessaires pour que les talents féminins se développent. Nous n’avons jamais promu autant de femmes associées que ces six dernières années. Nous sensibilisons également les associés à faire un gender check pour les recrutements, la composition des équipes et les promotions.
Comment se situe la France par rapport à d’autres pays ?
DB : Selon l’étude EY que nous avons réalisée récemment « EY European DEI Index 2024 » (Source : Étude « EY European DEI Index – February 2024 ». L’étude a été menée auprès de 900 dirigeants et 900 employés, dans 9 pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal et Suisse)), qui évalue le niveau d’inclusivité des entreprises en Europe, la France se classe 7e sur 9 pays analysés, ce qui n’est pas un résultat satisfaisant.
Ce retard français est difficile à expliquer, mais, selon moi, découle en partie d’un héritage culturel où les hommes occupent encore la grande majorité des postes de décision. Encore aujourd’hui, dans la plupart des secteurs, les modèles féminins sont peu nombreux. Ce n’est que récemment que nous avons vu la première femme être élue présidente de l’Assemblée nationale.
Cette étude montre aussi que seules 7% des entreprises européennes ont construit une véritable culture inclusive sur le lieu de travail. Les entreprises ont une véritable responsabilité et ne jouent pas encore assez le jeu. La loi Rixain pourrait avoir des effets plus significatifs que la loi Copé-Zimmermann en ciblant les Comex. Cependant, il faudra probablement une génération de plus par rapport à d’autres pays pour corriger ce déséquilibre.
Quels sont les freins à dépasser selon vous ?
DB : Il existe deux types de freins : ceux contre lesquels nous pouvons agir en interne au sein de l’entreprise et les freins externes.
En ce qui concerne les obstacles externes, il est crucial de prendre en compte les inégalités dès le début de la chaîne, notamment à l’école. Par exemple, la représentation des femmes dans les domaines de la technologie et du numérique a diminué au cours des dix dernières années, alors que ces secteurs seront parmi les principaux employeurs en France dans les années à venir.
En tant qu’acteurs du conseil, la transformation digitale constitue une part significative de nos activités aujourd’hui, et cela va progresser. Cette problématique a été soulignée, notamment, dans un rapport du Haut Conseil à l’Égalité (Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (2023). « La Femme Invisible dans le numérique: le cercle vicieux du sexisme », 7 novembre 2023). La récente réforme du lycée a malheureusement contribué à éloigner les femmes des filières scientifiques. Pour contrer cela, nous organisons par exemple chez EY des hackathons dédiés aux femmes, alimentons un réseau européen « Women in Tech », afin de démontrer que les nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle générative, sont l’affaire des hommes et des femmes.
EY est également très engagé dans la lutte contre le sexisme et le harcèlement en entreprise. Nous avons cofondé en 2018 l’initiative #StOpE, Stop au Sexisme Ordinaire en Entreprise, en partenariat avec Accor et L’Oréal France. En 2024, cette initiative compte désormais 270 signataires.
Un point d’attention est cependant à noter : la multiplication des initiatives en faveur des talents féminins a parfois donné l’impression à certains hommes que plus rien n’était fait pour eux, ce qui n’est pas vrai. Établir et encourager le dialogue est essentiel pour surmonter cette perception et expliquer pourquoi de telles actions sont nécessaires.
Je nourris l’ambition qu’un jour, hommes et femmes auront devant eux un chemin présentant les mêmes conditions, rendant ainsi les politiques de diversité obsolètes, et que la parité et l’égalité deviendront des acquis incontestables de notre société, et des entreprises en France.
Quel a été votre parcours chez EY ?
Dorothée Belle : J’y suis entrée en tant que stagiaire en 2007. EY était alors l’un des rares cabinets de conseil à Paris à avoir beaucoup investi sur un secteur qui me passionnait : le secteur public. Depuis lors, j’ai vécu l’équivalent de dix carrières dans cette entreprise où les évolutions et les opportunités sont perpétuelles. Je suis devenue associée en 2020, en pleine pandémie de Covid-19.
Je distingue trois étapes différentes dans mon parcours de consultante. D’abord, une période d’apprentissage pendant laquelle j’ai travaillé sur une grande diversité de missions à la fois dans le public et le privé, animée par ma soif de relever des défis. Ensuite, une phase de consolidation pendant laquelle j’ai rapidement pris des fonctions managériales en encadrant d’importantes équipes de consultants. Enfin, une phase de développement des activités du cabinet. J’ai d’une certaine manière développé ma propre entreprise au sein de la grande entreprise, avec une vision claire de là où il fallait aller pour aider mes clients.
Je suis aujourd’hui au sein du cabinet en charge du développement de nos activités de conseil et des questions de diversité, équité et inclusion pour les activités de conseil d’EY en France. À ce titre, j’impulse la stratégie d’EY Consulting en France et en Europe sur ces thèmes.
Quels sont les enjeux de parité hommes-femmes chez EY ?
DB : Il n’est pas nouveau que le monde du conseil, comme d’autres secteurs, peine à présenter un équilibre en termes de genre, notamment sur les postes de direction générale. Plusieurs raisons ou croyances l’expliquent : des horaires de travail exigeants, des déplacements, un mythe ancien selon lequel il est impossible d’avoir une vie personnelle. À mes débuts, il existait une idée reçue selon laquelle la progression professionnelle des femmes ralentissait de deux ans par enfant. Heureusement, les choses ont beaucoup évolué, et je peux dire sans mentir dire qu’avoir une famille et des enfants n’a jamais été un frein à ma carrière chez EY.
Dans le conseil, les enjeux de parité se manifestent dès le recrutement et tout au long de la progression dans l’entreprise. Au niveau du recrutement, nous recevons par exemple moins de candidatures de jeunes femmes que de jeunes hommes. Les écoles d’où proviennent nos recrues, notamment les écoles d’ingénieurs et dans une moindre mesure les écoles de commerce, ne sont pas paritaires en sortie. En début de carrière, la répartition est d’environ 45 %
de femmes pour 55 % d’hommes. Cependant, un écart significatif apparaît à partir du grade de manager (après environ six ans d’expérience), et ce décrochage se creuse jusqu’au grade d’associé.
Aujourd’hui, en consulting, on compte 10 femmes associées, sur 63. Lors des réunions d’associés, nous n’existons que marginalement dans les échanges du simple fait de notre nombre, et avoir de l’impact en interne est difficile. Cela vaut pour toutes les minorités : pour se faire entendre, il faut parler fort et occuper beaucoup d’espace, ce qui demande de l’entraînement.
Selon vous, à quoi est dû ce décrochage progressif des femmes dans leur carrière ?
DB : Le vrai problème est le manque de projection des femmes dans les fonctions de directions générales. L’absence de « role models » donne l’impression que devenir associée est impossible. Dans mes jeunes années de consultante, neuf années se sont écoulées sans qu’une femme ne soit promue associée. Dans ce contexte, de nombreuses femmes managers jettent l’éponge. Les retenir est alors difficile car au moment où nous nous rendons compte du décrochage, elles ont déjà démissionné et souvent trouvé un autre poste.
Cette tendance a été accentuée par un phénomène récent : l’effet de départ post-Covid, qu’on a appelé la « grande démission », concernait notamment les femmes, qui ont choisi de chercher de nouvelles opportunités ailleurs pour reprendre leur souffle.
Pourquoi une entreprise comme EY doit s’intéresser à la parité ?
DB : Selon moi, une entreprise qui ignore ce sujet ne pourra pas rester attractive dans les quinze prochaines années. En tant que cabinet de conseil, nous vendons des talents, et négliger cet enjeu serait une erreur de stratégie majeure. Pour qu’une entreprise ait un impact durable, soit résiliente et continue à attirer des talents, promouvoir la parité hommes-femmes et la diversité doit être une priorité. Mon objectif est notamment d’augmenter le nombre de
femmes associées chez EY. De manière générale, les Comex des entreprises doivent être paritaires, car c’est à ce niveau que les décisions influençant le middle management et les équipes sont prises.
Chez EY, nous constatons que les équipes dirigées par des associées sont généralement plus paritaires et présentent une plus grande diversité culturelle, ethnique, d’âge, et incluent davantage de salariés en situation de handicap. Cela améliore la qualité de vie au travail et crée un environnement plus inclusif, ce qui optimise le fonctionnement de l’entreprise, et donc in fine sa performance. Les équipes diverses et paritaires sont extrêmement performantes : peu
de dépassements d’honoraires, activité commerciale florissante, forte rétention. Des études d’Oxford montrent également un lien entre la diversité sous toutes ses formes et la performance des entreprises. Cet argument est convaincant.
La compétitivité est également en jeu. Nous avons déjà perdu des contrats en présentant des équipes peu diverses. Pour remporter de nouveaux marchés, l’égalité hommes-femmes et la diversité au sein des équipes de consultants sont des critères gagnants et différenciants auprès de nos clients qui cherchent des équipes qui reflètent la société dans laquelle nous vivons.
Malgré ces arguments – attractivité, performance, compétitivité -, le sujet de la parité reste essentiellement porté par des femmes. Peu d’hommes prennent la parole et, sans femmes dirigeantes, les décisions pour la parité et la diversité ne sont pas prises.
Certaines tendances sont toutefois encourageantes. Nous venons de nommer une femme à la tête de nos activités d’audit en France, cela ouvre des perspectives. La nouvelle génération de dirigeants hommes, ceux de 40-50 ans, est plus ouverte et veille à ce que des femmes soient considérées pour chaque promotion. Ils acceptent également d’être remis en question. Cette nouvelle génération contribuera à rééquilibrer la situation.
Que mettez-vous en place chez EY pour corriger ces déséquilibres ?
DB : Nous travaillons globalement sur quatre axes.
Le premier axe est le recrutement. Nous avons lancé chez EY les programmes de recrutement dédiés aux femmes. Se présenter aux processus de recrutement dans les grandes entreprises peut en effet être un premier élément bloquant pour les candidates. Un événement dédié crée un climat de confiance idéal pour exprimer leur potentiel. Les associés y participent, offrant un aperçu de la vie dans le conseil. J’ai discuté avec ces jeunes femmes et elles sont bien plus exigeantes que je ne l’étais à mes débuts. Elles veulent tout réussir, donner du sens à leur travail et que tout s’imbrique. Cela pose la question du taux de progression : EY a calculé que, si nous continuons au même rythme, il faudrait attendre 150 à 200 ans pour atteindre la parité
dans les entreprises. Les nouvelles générations n’attendront pas autant !
Un deuxième axe est la parentalité. Je nourris l’ambition que les entreprises allongent la durée du congé paternité pour rendre les actions de parentalité plus équitables en entreprises, et parce que ce sujet concerne autant les hommes que les femmes. Les mentalités évoluent et cela contribue au rééquilibrage. Les jeunes papas assument beaucoup plus leurs responsabilités parentales qu’auparavant.
Troisièmement, je soutiens nos réseaux internes. Avec 6 000 employés en France, EY voit fleurir de nombreuses initiatives collectives. Le réseau Elles & You travaille sur l’inclusion de tous, en interne comme en externe. Le réseau Unity, dédié aux personnes et alliés LGBT+, promeut l’inclusion des personnes LGBT+ dans l’entreprise. Un réseau récemment créé vise à mieux intégrer les neurodivergences en adaptant les conditions de travail et les missions. Que chacun puisse, avec ses forces et ses faiblesses, se développer et s’épanouir dans notre grande entreprise est le principe même de l’équité.
Le quatrième et dernier axe est la rétention et promotion des talents. Deux programmes que nous avons créés y participent : Prima Donna et Career Watch. Prima Donna est un programme de coaching pour les femmes consultantes seniors expérimentées. Des coachs les aident à se projeter, à gagner en assertivité, à oser s’affirmer dans leur carrière. Career Watch, destiné aux Senior Managers considérés comme hauts potentiels, forme des binômes de
mentoring entre ces femmes et nos associés. L’objectif est de les encourager à prendre des risques, s’exposer, et à décrypter les dernières étapes pour passer associée.
Petit à petit, grâce à un travail collectif et acharné, nous créons les conditions nécessaires pour que les talents féminins se développent. Nous n’avons jamais promu autant de femmes associées que ces six dernières années. Nous sensibilisons également les associés à faire un gender check pour les recrutements, la composition des équipes et les promotions.
Comment se situe la France par rapport à d’autres pays ?
DB : Selon l’étude EY que nous avons réalisée récemment « EY European DEI Index 2024 »(Source : Étude « EY European DEI Index – February 2024 ». L’étude a été menée auprès de 900 dirigeants et 900 employés, dans 9 pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal et Suisse)), qui évalue le niveau d’inclusivité des entreprises en Europe, la France se classe 7e sur 9 pays analysés, ce qui n’est pas un résultat satisfaisant.
Ce retard français est difficile à expliquer, mais, selon moi, découle en partie d’un héritage culturel où les hommes occupent encore la grande majorité des postes de décision. Encore aujourd’hui, dans la plupart des secteurs, les modèles féminins sont peu nombreux. Ce n’est que récemment que nous avons vu la première femme être élue présidente de l’Assemblée nationale.
Cette étude montre aussi que seules 7% des entreprises européennes ont construit une véritable culture inclusive sur le lieu de travail. Les entreprises ont une véritable responsabilité et ne jouent pas encore assez le jeu. La loi Rixain pourrait avoir des effets plus significatifs que la loi Copé-Zimmermann en ciblant les Comex. Cependant, il faudra probablement une génération de plus par rapport à d’autres pays pour corriger ce déséquilibre.
Quels sont les freins à dépasser selon vous ?
DB : Il existe deux types de freins : ceux contre lesquels nous pouvons agir en interne au sein de l’entreprise et les freins externes.
En ce qui concerne les obstacles externes, il est crucial de prendre en compte les inégalités dès le début de la chaîne, notamment à l’école. Par exemple, la représentation des femmes dans les domaines de la technologie et du numérique a diminué au cours des dix dernières années, alors que ces secteurs seront parmi les principaux employeurs en France dans les années à venir.
En tant qu’acteurs du conseil, la transformation digitale constitue une part significative de nos activités aujourd’hui, et cela va progresser. Cette problématique a été soulignée, notamment, dans un rapport du Haut Conseil à l’Égalité (Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (2023). « La Femme Invisible dans le numérique: le cercle vicieux du sexisme », 7 novembre 2023). La récente réforme du lycée a malheureusement contribué à éloigner les femmes des filières scientifiques. Pour contrer cela, nous organisons par exemple chez EY des hackathons dédiés aux femmes, alimentons un réseau européen « Women in Tech », afin de démontrer que les nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle générative, sont l’affaire des hommes et des femmes.
EY est également très engagé dans la lutte contre le sexisme et le harcèlement en entreprise. Nous avons cofondé en 2018 l’initiative #StOpE, Stop au Sexisme Ordinaire en Entreprise, en partenariat avec Accor et L’Oréal France. En 2024, cette initiative compte désormais 270 signataires.
Un point d’attention est cependant à noter : la multiplication des initiatives en faveur des talents féminins a parfois donné l’impression à certains hommes que plus rien n’était fait pour eux, ce qui n’est pas vrai. Établir et encourager le dialogue est essentiel pour surmonter cette perception et expliquer pourquoi de telles actions sont nécessaires.
Je nourris l’ambition qu’un jour, hommes et femmes auront devant eux un chemin présentant les mêmes conditions, rendant ainsi les politiques de diversité obsolètes, et que la parité et l’égalité deviendront des acquis incontestables de notre société, et des entreprises en France.