Pour le sixième entretien de la série « Parité en portraits », Paris-Île de France Capitale Économique a rencontré Michèle Raunet, notaire associée et directrice générale de Cheuvreux (membre PCE). Représentante d’un métier qui se féminise fortement depuis plusieurs années, elle montre qu’atteindre la parité hommes-femmes est possible, bien que ce ne soit jamais gagné d’avance ni un acquis irréversible.
Michèle Raunet a commencé sa carrière à la Ville de Paris à la Direction de l’aménagement urbain. En 1994, elle rencontre Bruno Cheuvreux qui l’invite à rejoindre son étude notariale. Elle contribue au développement de l’étude et au renouveau des méthodes. En 2006, après avoir obtenu son diplôme de notaire, elle devient associée. Son domaine de prédilection est le droit public immobilier, travaillant avec des collectivités publiques, des bailleurs sociaux, des aménageurs et des personnes privées. Elle accorde également une grande importance à la capitalisation et au partage des savoirs juridiques au sein de l’étude, créant ainsi une culture du partage et de l’amélioration continue. Un parcours marqué par une forte croyance en la force du collectif.
Voici quelques extraits de la conversation.
Quel a été votre parcours professionnel jusqu’à votre poste actuel chez Cheuvreux ?
Michèle Raunet : Mon parcours a débuté à la Ville de Paris, à la Direction de l’aménagement urbain. D’abord stagiaire, j’ai ensuite travaillé à mi-temps pour financer mes études, et cette expérience s’est prolongée jusqu’en 1994.
N’ayant pas passé les concours, j’ai rapidement réalisé que je n’arriverais pas à progresser comme je le souhaitais. J’ai donc cherché une autre voie et un jour, j’ai rencontré Bruno Cheuvreux, notaire, qui m’a proposé de travailler dans son étude. J’ai saisi cette opportunité et mes débuts au sein de l’étude ont été marqués par la réflexion juridique, le conseil juridique en amont des projets, et l’urbanisme… Ce fut un véritable coup de foudre professionnel.
Pendant une décennie, nous avons développé l’étude, attirant de nouveaux clients séduits par nos méthodes novatrices de conseil et de traitement des dossiers. Bruno Cheuvreux m’a ensuite proposé de devenir associée, ce qui nécessitait que je devienne notaire. J’ai donc repris mes études, découvrant des sujets inconnus pour moi comme le droit de la famille. Après l’obtention de mon diplôme de notaire, j’ai été presque immédiatement nommée associée en 2006.
Depuis lors, je suis associée chez Cheuvreux. Mon domaine de prédilection est le droit public immobilier, traitant avec les collectivités publiques, les bailleurs sociaux, les aménageurs, ainsi que les acteurs privés pour les questions d’aménagement et d’immobilier public. J’ai développé de nouveaux types de dossiers et de nouvelles approches dans ces domaines.
Au sein de l’étude, je me concentre également sur la capitalisation des connaissances juridiques, la transmission et le partage de l’expertise. En tant que juriste, nous élaborons des dossiers et traitons des problématiques juridiques avec des notes, des montages, des clauses. Trop souvent, ces connaissances restent non partagées et sont réinventées quelques années plus tard. C’est une perte de temps. Dans une entreprise, il est fondamental de capitaliser pour progresser et apporter une réelle valeur ajoutée. Je crois fermement en la force du collectif, c’est pourquoi je porte avec conviction une culture de partage et de capitalisation des savoirs.
Quels sont les obstacles à cette culture du partage ?
MR : Le partage de l’information, du savoir, de la donnée et de l’expérience n’est pas spontané, en tout cas dans le domaine juridique. En réalité, cette lacune semble être répandue dans de nombreux secteurs et organisations. Pourtant, je considère que c’est une question cruciale. Il est donc essentiel d’en parler régulièrement, de la défendre, et surtout de ne pas se décourager.
L’imaginaire lié à la profession de notaire laisse penser qu’elle est plutôt masculine. Cet imaginaire est-il le reflet de la réalité ?
MR : Cela a beaucoup évolué, comme dans tous les métiers juridiques. Avec la féminisation croissante des études de droit, la jeune génération qui intègre les études notariales est également plus féminine.
Dans les études, on trouve des notaires associés, des notaires salariés et des collaborateurs. Les collaborateurs peuvent être des diplômés notaires, des assistants juridiques, des techniciens, etc. Chez Cheuvreux, nous comptons désormais plus de femmes notaires tant associés que salariés que d’hommes. La gouvernance chez Cheuvreux est paritaire et les femmes ont toujours joué un rôle extrêmement important. Dès mes débuts, Bruno Cheuvreux et Ronan Bourges, les deux associés de l’étude, ont choisi des associées femmes, les ont valorisées et leur ont permis de progresser. Nous n’avons jamais rencontré de discrimination au sein de l’étude.
Selon vous, quels sont les principaux vecteurs de ce changement ? Y a-t-il des obstacles ?
MR : La féminisation des études de droit contribue largement à la féminisation de la profession de notaire comme celle d’avocat ou de magistrat. Les anciennes générations sont encore très masculines mais le mouvement est enclenché.
Cheuvreux est une étude particulière, qui a pu compter sur des associés seniors ouverts qui ne font pas de distinction entre hommes et femmes. Ainsi, la question du genre n’a jamais été un sujet, même pour ma génération où être une femme posait encore problème, souvent en lien avec la conciliation travail-enfants. Aujourd’hui, ce type d’attitude et de discours a largement disparu, notamment sous l’effet du nombre croissant de femmes brillantes arrivant sur le marché.
Nous sommes très fiers à l’étude d’avoir signé la charte d’engagement en faveur de la parité et de l’égalité professionnelle femmes-hommes dans les entreprises et les organisations du secteur immobilier.
Qu’en est-il dans les chambres des notaires et au Conseil supérieur du notariat ?
MR : Les tendances sont similaires. De plus en plus de femmes accèdent à des postes de présidentes. La génération des plus de 55 ans passe petit à petit la main à des générations de plus en plus mixtes.
La situation était-elle différente à la Ville de Paris ?
MR : La Ville de Paris était beaucoup plus masculine lorsque j’y étais dans les années 1990, ce qui est principalement dû aux métiers exercés dans la Direction de l’aménagement. Celle-ci accueille des urbanistes, des ingénieurs, des architectes. Ce sont des professions qui se sont depuis féminisées.
De plus, il y a eu une volonté politique de parité à partir des années 2000. Les maires successifs – Bertrand Delanoë puis Anne Hidalgo – ont favorisé la féminisation des effectifs. Aujourd’hui, il y a autant de directeurs que de directrices.
Dans le notariat, la parité n’est pas le résultat d’une volonté politique. Il n’existe pas de normes comme pour les grandes entreprises. Cependant, en raison des changements sociétaux, il n’est plus possible aujourd’hui de ne pas afficher la parité dans les instances dirigeantes, d’autant plus que la féminisation des études conduit à plus de parité au sein des structures elles-mêmes.
« Il n’est plus possible aujourd’hui de ne pas afficher la parité ». Selon vous, pourquoi ?
MR : En simplifiant, l’absence de parité est préjudiciable, car elle est perçue comme contraire à l’évolution de la société. Mais cela peut changer. Tout cela reflète un positionnement et une vision des femmes qui sont finalement très politiques. C’est un engagement, une lutte qui n’est pas évidente. Il est donc possible qu’un jour il y ait un retour en arrière. Regardez ce qui se passe aux États-Unis. Regardez comment certaines intelligences artificielles renforcent les stéréotypes de genre par les images qu’elles créent.
Bien que la cause des femmes soit devenue une valeur fondamentale en France, cela n’exclut pas un changement radical.
Il s’agirait alors de ne pas nous laisser faire.
Quels sont, pour les femmes notaires, les enjeux actuels dans la profession ?
La place des femmes n’est plus un sujet dans le notariat. Elles apportent même une approche différente, notamment en droit de la famille. La parité est une véritable plus-value dans l’exercice de cette profession.
Le nombre de femmes notaires a augmenté de façon très importante en France et en Île-de-France sur une période récente, avec l’augmentation corrélative du nombre de notaires salariés et l’ouverture de la profession. Au 31 mai 2024, les femmes notaires associées ou en libéral représentaient 59% des membres de la Compagnie de Paris ! La féminisation est depuis longtemps en marche.
Les enjeux des femmes notaires sont ceux de toutes les femmes qui exercent des professions qui mobilisent beaucoup de leur temps et de leur énergie dans l’exercice de leur métier : concilier vie professionnelle et personnelle en s’épanouissant dans les deux.
Un autre enjeu réside dans le recrutement, notamment auprès des étudiantes et des étudiants. Il appartient aux femmes notaires de communiquer sur le très beau métier, aux missions d’intérêt général, proche de chaque citoyen dans tous les stades fondamentaux de la vie.
Entrer dans la profession de notaire est exercer un métier empreint de rigueur, de digitalisation, de communication, de conseils, de partage et d’équilibre.
En 2024, sur les 2 079 notaires de la Compagnie de Paris, 1230 sont des femmes, soit 59% des effectifs.
Plus exactement :
Au-delà des effectifs de notre Compagnie, représentatifs de la féminisation de la profession, il est important d’avoir conscience du rôle du notaire au sein de la société. Il est le partenaire particulier des citoyens, et ce, à chaque grande étape de la vie. Dans une optique d’accès au droit, les notaires sont engagés au quotidien contre les inégalités financières, qui touchent plus particulièrement les femmes.