Comment se définissent le mouvement paralympique, sport adapté et handisport ?
Le mouvement paralympique est historiquement fondé sur trois fédérations : Handisport, qui a changé de nom au cours des dernières décennies, Sport adapté (handicap intellectuel, psychique et mental), et Fédération des sourds (désormais fusionnée avec la FFH).
Lorsque l’on parle du mouvement paralympique, pour le CPSF cela représente le « sport de haut niveau » et de « développement des pratiques ». Nous utilisons le terme de « parasport » pour inclure les différentes fédérations et discipline, qui accueillent des sportifs en situation de handicap. En effet, lorsque l’on utilise le terme « Handisport » on oublie des formes de handicap notamment mental et psychique, mais aussi certaines disciplines.
De manière générale, en France, on parle d’1/6 de la population française, de l’ordre de 10 millions de personnes, qui présente une forme de handicap. Sachant que la majeure partie concerne des handicaps mentaux, avec une atteinte physique nulle ou faible. La proportion des handicaps physiques est plus faible.
Comment se situe la France dans ce mouvement et quelles seraient les améliorations possibles ? La région parisienne se distingue-telle particulièrement ?
Historiquement la France était une nation de premier plan mais cette place s’est érodée ces dix dernières années. Elle a énormément chuté en 2012 (16e au classement des médailles). En 2016 elle était 12e. Cette chute s’explique de différentes façons.
L’accompagnement des sportifs paralympiques, le soutien aux fédérations Handisport et Sport adapté, n’a pas été à la hauteur des besoins pour du haut niveau pendant de nombreuses années.
Dans les années 2010, d’autres fédérations se sont intéressées au développement du parasport en collaboration avec les fédérations fondatrices ou sur des disciplines nouvelles. En 2017, de nombreuses délégations sont accordées aux fédérations olympiques. Le rôle du Comité paralympique sportif Français (CPSF) a ici trouvé toute son importance pour la coordination des fédérations sur le haut niveau, et notamment les jeux paralympiques, et le développement des pratiques. Le CPSF compte actuellement 39 membres, dont 17 fédérations délégataires (13 paralympiques).
L’accroissement du nombre de fédérations par la campagne de délégations de 2017, associé à un renforcement des moyens accordés, laisse espérer une évolution positive des résultats.
Depuis de nombreuses années, la France n’a pas pu/su s’orienter vers l’ensemble des disciplines et l’ensemble des handicaps. Les handicaps très lourds notamment, qui nécessitent un accompagnement spécifique, humain et matériel, sont beaucoup moins développés. Les problématiques rencontrées concernent, entre autres, le transport, l’accès à du matériel adapté et la formation des éducateurs sur le terrain. Il faut également faire face aux mentalités qui en France associent encore difficilement sport et handicap.
Accueillir un athlète amputé en athlétisme est simple. Les déterminants de la performance sont les mêmes et les adaptations sont mineures. Accueillir un sportif avec un « handicap lourd » et/ou une pathologie évolutive est plus complexe et nécessite un accompagnement et une sensibilisation des éducateurs beaucoup plus importants. Actuellement en France ce n’est pas suffisamment développé.
« L’annonce des JOP 2024, favorise la volonté de nombreux acteurs de mieux faire, et c’est le cas pour la région parisienne. »
Il y a une forte volonté locale de créer des lieux d’accueil adaptés, de faciliter l’accès aux infrastructures sportives en réservant des créneaux pour les clubs parasportifs. Concernant le haut niveau, il semble que les sportifs sont accompagnés et financés au même titre que les sportifs valides. Au-delà des problématiques du transport, le principal problème sur la région parisienne est celui de la densité. On a une forte densité de personnes en situation de handicap en IDF, ou ailleurs il est plus facile de s’adapter pour un nombre plus limité de personnes. Ici le défi est d’avoir plus de clubs (et de créneaux), de bénévoles, d’éducateurs, qui soient handi-accueillants. Cela peut passer par une formation diplômante, mais aussi plus généralement par de l’information et de la sensibilisation, pour dédramatiser le problème de l’accueil de personnes en situation de handicap. Du même coup, démultiplier les capacités d’accueil.
L’INSEP est une structure accessible aux athlètes paralympiques, au même titre que les athlètes olympiques. Cependant, peu de sportifs de HN paralympiques s’y entraînent quotidiennement, et cela pour différentes raisons : L’entrainement en structure isolée est plus courant chez les sportifs paralympiques (proximité de la cellule familiale, organisation professionnelle) et peu de fédérations possèdent un pôle parasportif à l’INSEP (Ratio bénéfices / coûts).
Pour le reste en Ile-de-France, il y a eu un projet durant la candidature de Paris 2024 pour la création d’un pôle parasportifs HN autour du Bourget. En raison des évolutions que connait le mouvement paralympique depuis 2017 (arrivée de nombreuses nouvelles fédérations) il est difficile de se projeter dans un tel projet d’avenir. De plus, la tendance actuelle est de favoriser le sport en inclusion ou dans des structures de proximités.
Il y a actuellement de nombreux projets pour favoriser la pratique du sport handicap en région IDF, sur le champ du haut niveau et de l’accès à la pratique sportive. Nous pouvons citer, le projet PRISME, en Seine-Saint-Denis, mais également le projet d’Institut parasport santé évaluation à Saint-Quentin-en-Yvelines.
Quel est l’intérêt du public pour le parasport et comment pourrait-il se développer ? Comment la France se situe par rapport aux autres pays ?
La France est en retard sur la diffusion des Jeux paralympiques mais aussi des compétitions intermédiaires. On n’a pas eu du tout de diffusion des grands sports entre Rio (2016) et Tokyo (2020) en particulier la natation et l’athlétisme qui sont les deux grands volets du mouvement paralympique, et qui sont très bien diffusés dans d’autres pays : en Angleterre, en Allemagne ou aux Etats-Unis. L’implication des chaînes y être particulièrement importante. A la décharge de France TV leur modèle économique a été extrêmement chamboulé : France 4 et France 0 vont disparaître, et ce sont autant de canaux possibles en moins pour la diffusion.
Dans les autres pays évoqués, c’est un modèle mixte. Pas toujours des chaînes publiques, parfois des modèles privés comme en Angleterre (BBC et Channel 4).
S’agissant du grand public il y a une envie. Est-ce qu’il faut faire davantage de teasing, travailler en amont sur de nouveaux supports pédagogiques (mieux expliquer les classifications, ce sur quoi le mouvement paralympique travaille aujourd’hui). Essayer de faciliter l’accès du grand public par quelques grandes figures iconiques. Pour qu’ils voient du même coup que c’est avant tout du sport, des émotions sportives, et dans un deuxième temps un enjeu de visibilité du handicap. Il y a encore une peur des Français liée à la confrontation au handicap. Paris 2024 recherche de ce point de vue un héritage essentiellement immatériel. En ce qui nous concerne il y a deux enjeux prioritaires. Faciliter l’accès la pratique pour les personnes en situation de handicap (bien-être, santé…). Aujourd’hui c’est encore insuffisant pour énormément de raisons, et au travers de l’héritage, avoir une place de la personne en situation de handicap qui aura changé dans la société française. Qu’on ait engagé un changement de mentalité dans la durée.
De manière générale en France on est gêné avec cette question du handicap. Les personnes en situation de handicap étaient longtemps placées dans des centres dédiés et reclus, qui n’étaient pas en centre-ville. Tout cet historique conditionne les mentalités. Ce cloisonnement est en train de changer, avec une école qui devient de plus en plus inclusive.
« On n’en est pas encore à la mentalité anglaise où, quand on voit une personne en situation de handicap on ne voit pas la déficience mais la capacité à s’adapter. »
Plus les villes seront handi-accessibles, plus elles permettront aux personnes en situation de handicap d’accéder à la citoyenneté (loisirs, travail, culture, sport…), plus le regard de la société sur la personne se déplacera de la déficience vers l’adaptation.
Quel est le degré et la nature de la pratique sportive des personnes handicapées en France ?
On a du mal à trouver des statistiques, car une personne en situation de handicap qui prend une licence dans un club n’est pas obligée de se déclarer comme « en situation de handicap ». On peut facilement compter les licenciés au sein de la Fédération de Handisport et de sport adapté, mais pour toutes les autres fédérations (aviron, tir à l’arc, natation), elles ne sont pas dans nos statistiques. Pour l’heure très peu de fédérations mettent en place un formulaire permettant à la personne de se déclarer en situation de handicap. Mais en raison du respect de la personne, car il est interdit de forcer les personnes en situation de handicap à se déclarer comme tel. Pour certains sports la FFH a la délégation, c’est-à-dire capacité d’organiser des championnats de France et d’envoyer des athlètes aux Jeux, mais pour d’autres non, notamment aviron et tir à l’arc.
Ce serait quand même important d’avoir des outils de mesure plus performants pour évoluer l’évolution des mentalités et des pratiques, et donc l’efficacité des politiques mises en place. Mais ces statistiques sont très difficiles à constituer.
Existe-t-il des pratiques « autoorganisées » échappant au modèle classique (clubs/licences) ?
Le mouvement paralympique n’échappe pas à cette tendance. Mais je pense qu’elle est limitée aux handicaps légers. Pour les handicaps lourds les besoins matériels et d’encadrement sont tels que les pratiques autoorganisées sont beaucoup plus limitées.
Quels sont les freins au progrès du parasport et que faudrait-il améliorer ?
Les freins sont de plusieurs ordres.
L’accessibilité physique est un frein mais pas le plus important. On a des leviers d’amélioration importants sur ces volets. On a des enveloppes financières chaque année pour la mise aux normes des infrastructures. Si c’était le principal levier cela fait des années que la pratique sportive se serait améliorée.
L’auto-censure est une vérité, qui est encouragée par la posture médicale et parentale. Une partie du corps médical n’est pas très allante à faire pratiquer une activité physique aux personnes et ce dès le plus jeune âge, en décernant des certificats de contre-indication plutôt que des certificats demandant à adapter la pratique sportive. Si déjà à l’école le jeune ne pratique pas le sport, cela ne va pas l’encourager pour la suite et cela ne va pas non plus développer la posture parentale en faveur de la pratique sportive.
Le transport de la personne en situation en handicap. Dans le contexte familial, on privilégie généralement la pratique sportive des frères et sœurs, et ne pas emmener la personne en situation de handicap pour laquelle le temps de trajet est plus long pour trouver une offre.
Frein financier : beaucoup de pratiques et de pathologies nécessitent des leviers financiers importants, pour lesquels peu d’aides existent si ce n’est pas le secteur associatif.
C’est une accumulation de petits freins, auquel il faut ajouter le manque d’information et de formation des structures de proximité. On a des clubs qui peuvent être réticents, d’autres partants mais qui ne trouvent pas la demande adaptée. C’est aussi une logique de mise en réseau sur les territoires.
Sur ces adaptations, il est compliqué de situer la région parisienne car ce diagnostic n’a jamais vraiment été fait. Cet état des lieux des dynamiques régionales est en cours et je pourrai partager avec vous les enseignements de ce travail. Paris est victime de son succès et de sa population. On a beaucoup plus de demandes et de pratiques et donc des tensions sur les créneaux.
Après on a des clubs qui sont surchargés. Comment accueillir décemment un enfant en situation de handicap, qui va demander plus d’adaptation ?
« Il n’y a pas vraiment de mauvaise volonté, mais plutôt des gens qui vont ne pas se sentir légitime ou avoir peur de mal faire. »
Ce sujet de dimensionnement humain et de formation / sensibilisation est très important.
Des pays sont-ils précurseurs dans le développement de la pratique parasportive ?
L’Angleterre est un modèle mais plutôt sur la haute performance, sur leur capacité à détecter et créer un chemin de la haute performance. Leur développement des pratiques est moins outillé. En France on a plutôt le schéma inverse avec beaucoup de ressources mises sur le développement des pratiques. Les pays nordiques ou le Canada font aussi des choses intéressantes. Mais de manière générale, il est compliqué de comparer des politiques sportives dès lors que la place socioculturelle même du handicap n’est pas la même d’une société à l’autre. C’est là que Paris 2024 a un rôle fondamental à jouer. Londres 2012 a eu un effet incontestable de ce point de vue.
Quelle lecture peut être faite de la gouvernance du parasport en France ?
La gouvernance du mouvement paralympique a énormément évolué ces dernières années, en passant de deux Fédérations emmenant des athlètes aux Jeux à dix Fédérations cette année, et à Paris 2024 on pourrait en avoir douze. Ces évolutions sont plutôt bénéfiques car on a plus d’acteurs autour de la table et une considération plus importante pour le mouvement paralympique, avec enfin plus de partenaires institutionnels comme économiques autour de la table.
Cette gouvernance s’inscrit dans une gouvernance plus globale du mouvement sportif qui est en train de changer avec la création de l’Agence nationale du sport (ANS), qui permet à des acteurs s’agit conjointement et de manière plus coordonnée. Mais ce qu’on attend, et cela devrait la nouveauté en 2020, c’est d’avoir une déclinaison territoriale (qui sera régionale) de l’Agence. Pour permettre de fédérer sur les territoires les différents acteurs du sport, qui aujourd’hui agissent encore de manière trop éparse et sans une vraie cohérence à l’échelle territoriale. Chaque déclinaison territoriale de l’Agence devra construire un plan de développement du sport (d’amateur à haut niveau), construit par les différentes parties prenantes sur les territoires, ainsi que des conférences des financeurs qui elles pourront être déclinées à différentes échelles, jusqu’à communale. Tout cela dépendra de la spécificité des territoires. La grande nouveauté sera la rédaction de schémas territoriaux, avec la prise en compte des acteurs du mouvement paralympique.
De quelle façon le parasport est-il une source d’innovations et de développement ?
Il y a énormément de choses qui se développent. On a eu déjà énormément d’évolution du matériel sportif : fauteuils et prothèses. Ces évolutions permettent en retour d’être transposées dans le quotidien de la personne en situation de handicap. On a aussi beaucoup de start-ups qui se développent en produisant des applications pour vivre les événements sportifs, qui sont travaillées dans le sport mais qui derrière favorisent le développement de la citoyenneté pour les personnes en situation de handicap. Également la question du dernier kilomètre : qui amène des réflexions sur l’accessibilité des infrastructures sportives, la mobilité mais aussi le développement d’une signalétique adaptée.
Quels enjeux et facteurs stimuleraient la recherche scientifique française ou francilienne ?
La recherche pour les personnes en situation de handicap reste une niche. Or c’est la concurrence qui produit la diminution des prix. Tant que c’est une niche on reste sur des prix élevés en termes d’équipements car on est sur la haute technologie. La principale critique s’agissant de la France porte plus largement sur le remboursement du matériel sportif pour les personnes handicapées, c’est-à-dire de ne pas tenir compte du rôle de cette pratique dans le parcours de santé des individus. La Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) de la région parisienne n’est pas de manière générale la plus active pour développer l’accès financier au sport (infrastructures, matériel etc.) Exemple de celle de Belfort où on a un référent sport qui facilite l’accès à cela.
Quelles sont aujourd’hui les attentes sur les différents volets liées à la loi Sport et Société ?
Le problème de la loi Sport et Société selon nous est que la plupart des freins que l’on a évoqués ne sont pas d’ordre législatif et réglementaire. Modifier la loi ou intégrer des articles de loi en faveur du développement du parasport n’est pas nécessairement ce dont on a le plus besoin. Il y a beaucoup de choses dans la loi sur lesquels nous rejoignons le mouvement sportif dans son ensemble, mais sur le sujet propre du Handicap les freins ne sont pas nécessairement législatifs.
Quels liens et améliorations pourraient exister vers l’insertion des personnes handicapées ?
« Le grand problème de la France est de voir « l’incapacité » chez les personnes handicapées et pas la capacité d’adaptation. »
C’est vrai pour le sport mais beaucoup plus largement à d’autres volets de la vie : travail, culture, logement.
Que serait un territoire « parfait » en termes de pratique parasportives ?
De manière générale, un territoire « parfait » pour la pratique sportive des personnes handicapées est un territoire où ces personnes se sentent libres de pratiquer, sans devoir débourser des sommes qui ne sont pas acceptables, avec un encadrement et un accompagnement adapté. Soit en inclusion, soit dans certains cas avec leurs pairs. Et évidemment un territoire avec un accès plus large à la citoyenneté pour les personnes handicapées.